Le Silence de Lorna est un film des frères Dardenne, porté à la fois par de vraies idées de réalisation et par le jeu des acteurs, en particulier Arta Dobroshi qui joue très subtilement le rôle de Lorna. Il en résulte une sensation de justesse. Pourtant, comme c’est le plus souvent le cas dans notre société, il y a dans le film, quelque chose de distordu autour de la figure de la victime. Il est très difficile voire impossible de critiquer une victime, pratiquement impossible de dire d’une victime, autre chose que son drame.
Le film commence avec les doutes de Lorna, laissant ainsi très loin en arrière plan le fait qu’elle est rentrée dans la combine en sachant parfaitement qu’un assassinat était prévu. Claudy lui-même est un peu trop sympatique, un peu trop « mono facette », dans son rôle de junkie-plein-de-bonne-volonté-qui-serait-sauvé-par-l’amour-d’une-femme. L’amour qui sauve, autre lieu commun de notre imaginaire collectif.
Même si c’est fait avec subtilité et une part de justesse dans la présentation des situations et des personnages, le film nous attrape facilement en faisant raisonner des lieux communs de notre imaginaire collectif. C’est le jeu favori de toute une production littéraire et cinématographique: enfermer les victimes dans leur drame, comme si, à trop vouloir
Comme si, à trop vouloir dépasser le malheur en le sublimant, on finissait par être captif d’une fascination esthétisante, qui élabore le drame en un absolu.
dépasser le malheur en le sublimant, on finissait par être captif d’une fascination esthétisante, qui élabore le drame en un absolu. Le plus petit moment de bonheur ne semble là que pour mieux montrer le tragique, les histoires qui se passent bien n’ont « aucun intérêt », la beauté est dans la souffrance. Le remède fini par empêcher de lâcher le malheur pour en sortir vraiment.
Lors du festival Cinécast, le commentaire d’elsaw « Certes le film semble vouloir porter le message que la femme est toujours le maillon le plus exploité et le plus maltraité de la chaîne de la pègre; et que même complice, la femme finit par être victime. » est frappant. Le fait de résumer de film de cette façon, alors que c’est un homme qui est assassiné met bien en lumière cet invariant de notre imaginaire collectif: femme et victime sont tellement fortement associées qu’elles sont difficilement dissociables (elsaw ajoute d’ailleurs « Mais c’est presque facile de tenir un tel discours »).
A cause de cette association qui finit par ne plus être imaginaire mais symbolique, il peut être d’autant plus difficile pour une femme, de s’imaginer et de se réaliser autrement. De ne pas rester enlisée dans cette identité toute prête, fournie par de réelles situations d’abus, voire, à défaut, de s’en inventer. On se souvient de la pseudo agression dans le RER qui avait suscité manifestations et soutiens outrés avant que l’affabulation ne soit démasquée. La femme en question avait renforcé sa construction imaginaire en faisant également appel à l’autre grande figure de victime de la culture occidentale: le juif…
Il est très difficile de ne pas se laisser aller à la facilité de croire la victime. Qui veut prendre le risque de se tromper et d’ajouter à la souffrance d’une agression, le manque de compassion des témoins? Il est bien plus facile de croire une victime et d’y gagner un peu d’estime de soi comme sauveur compatissant. Sans compter que les démonstrations hystériques de la souffrance peuvent être très impressionnantes, parfois difficile à supporter pour qui ne les reconnait pas comme telles. Tout se passe comme s’il n’y avait rien à perdre à considérer erronément ou de façon disproportionnée quelqu’un comme victime. Pourtant, là s’alimente une zone d’ombre où il est très difficile d’aller faire la part des choses, avec pour effet d’enfermer ou de laisser certain s’enliser dans une identité de victime.
Vivement un film qui parle des femmes victimes comme « Intouchable » parle du handicap !
Peut-être qu’il existe d’ailleurs… en connaissez-vous un ?