« Les discours dans une vie » au théâtre de l’Oeuvre. Mais oui ! Bien sûr ! Raconter la vie de deux amis à travers leurs discours, quelle excellente idée ! Le discours comme clé essentielle de la vie humaine ! Et me voilà accourant, impatiente aussi de pouvoir en profiter pour voir Samuel Le Bihan en vrai … …ah ben on se refait pas hein …
Le résumé de la pièce dit « un miroir dans lequel tout le monde pourra se reconnaître ».
Et bien … euh… moi, non.
La vision de la pièce ? A gauche, des intellos qui se disent ratés parce qu’ils enseignent plutôt que d’écrire. A droite, des entrepreneurs qui pensent qu’ils ont raté (encore) leur vie personnelle parce que leur fille déconne le jour où ils sont récompensés pour le carrière professionnelle…
Vous n’avez pas l’impression d’avoir déjà entendu ça des milliers de fois ? Je veux dire sous la plume de rêveurs coupés du monde ! Parce que des entrepreneurs, j’en ai croisé, ‘en ait pas vu qui pensent avoir raté leur vie. C’est du pure fantasme de ceux qui ne sont pas dans leur logique ! Sans compter qu’articuler l’usage de drogue par un ado à la carrière prenante de son père est pour le moins … simpliste. Merde ! Je vais pas au théâtre pour entendre des discours (= raisonnements) de café du commerce ! Est-il bien raisonnable de compromettre son talent pour des banalités qui ne montrent les personnages qu’au travers d’une vision qui les déprécie, au prétexte que cela fait rire un public ? La raison d’être de la démarche artistique m’échappe.
C’est tellement décevant de voir un artiste qui semble pourtant vouloir donner du sens à ce qu’il fait – puisqu’il soutient des associations qui défendent différentes causes, mais qui là où il pourrait vraiment faire bouger les choses, parce que c’est son boulot, se contente de flatter les gens dans le sens de leurs a priori, au prétexte que ça les fait rire et que ça remplit les salles.
Le nom de l’auteur, Laurent Chalumeau ne me disait rien. Pourtant, renseignements pris, on retrouve dans cette pièce les personnages bricolés à partir de fantasmes aigres sur l’autre, toujours minable, toujours moqué à coup de traits bêtes et méchants, qui ont fait son succès à l’époque de Didier L’embrouille*. Ils ne nous apprennent rien parce qu’ils ne sont que l’incarnation de caricatures éculées et laisse la désagréable sensation d’avoir été pris en otage pour assister à un dîner de con…
Un « discours », « ce n’est qu’un discours ». On peut entendre le côté façade du mot. Ce que l’on présente aux autres, en particulier dans les circonstances convenues, comme les mariages, les enterrements ou les pots de départ. Un père qui parle de la sexualité de sa fille lors de son baptême ou un cadre qui traite ses collègues de crétins – même lors de son pot de départ – sont des discours suffisamment peu réalistes pour qu’un moment, j’ai voulu croire que le propos de la pièce était en fait la distance entre ce que l’on pense vraiment et ce que l’on dit. Qu’ils s’agirait de montrer ce que les gens diraient, s’ils disaient vraiment ce qu’ils pensent. Mais ce propos est tellement diffus, que je ne suis pas bien sure qu’il est intentionnel…
Le mots sont des traîtres. J’ai entendu « discours » dans toute la complexité et la profondeur de ce qui est le point de rencontre entre le social et l’intime. Ce qui, bien sûr, nous permet d’interagir avec les autres, mais, à celui qui sait écouter, en dit aussi
le discours est le point de rencontre entre le social et l’intime
très long sur celui qui le prononce, sur son rapport aux autres et au monde. La forme d’un discours, dans le sens le plus large qui fait que l’on peut parler du discours d’un film ou d’un artiste, désigne finalement aussi bien une vision du monde. C’est une chose aussi délicatement ciselée et infiniment personnelle que nos empruntes digitales.
Prenez par exemple le compte twitter
@thereaIbanksy. Il suffit de le lire pendant quelques temps pour s’apercevoir que le « discours » ne correspond pas à celui que l’artiste tient dans ses œuvres de street art ou dans son film
Exit Through The Gift Shop, et de fait,
Banksy indique explicitement sur son site qu’il n’est pas présent sur twitter. (
I mean, he was, when his site was not entirely dedicated to his current Walled off Hotel project…).
Dans ce sens, un discours ne ment jamais. Il peut trahir, par contre…
Et voilà qu’au lieu d’explorer cette richesse du « discours », certains se contentent de faire parler deux stéréotypes.
Dommage, tellement dommage…
* Personnage incarné par Antoine de Caunes dans l’émission « Nulle part ailleurs », diffusées sur Canal+ dans les années 90s.